samedi 8 novembre 2014

[Réaction] Convictions à géométrie variable ou le principe de la double mesure.

Cet article risque de déstabiliser un peu les gens qui sont complètement étrangers à la twittosphère féministe francophone. Je ne vais pas détailler les faits point par point, je souhaite simplement mettre au clair tout ce qui a pu me passer par la tête et me révolter ces derniers temps et expliquer pourquoi, en ce qui me concerne, ça ne peut pas continuer.

Je suis déçue et ce sentiment amer ne veut décidément plus me quitter. Je n'ai pas envie de m'étendre sur le sujet ni même de débattre parce que je considère qu'il y a tout simplement eu des retournements de veste sous couvert de questionnements suite à cette désormais fameuse histoire de l'Elfe.

Je n'accepte pas qu'on oppose au droit à la colère de l'oppressé un argument comme « ne pas adapter son discours est un luxe ». Nous avons toujours dit que le calme et la capacité à faire de la pédagogie était un privilège, nous (je parle d'un « nous » militant utilisant l'outil intersectionnel) prenions en compte de cette façon la souffrance et la légitimité d'une réaction à cette souffrance qui échappe à une logique de « je vais gentiment t'expliquer pourquoi tu es en train de me marcher dessus ». La première raison c'est d'abord que ça n'est pas toujours possible concrètement. On vous frappe, on vous marche sur le pied, on vous rentre dedans de façon violente que ce soit physiquement ou pas, le fait de pouvoir contrôler votre réaction est un privilège, cela montre aussi que peut-être, la violence que vous venez de subir, vous ne la subissez pas en permanence. Je suis convaincue que ça n'est pas le rôle d'une personne blessée par des propos oppressants d'éduquer une personne qui tient des propos problématiques. C'est possible et c'est très bien qu'il y ai des gens qui puissent le faire, je respecte ça et je l'encourage, mais le réclamer de façon systématique c'est le monde à l'envers. Je dis non à l'injonction à la pédagogie, pour moi ça n'a aucun sens.

De la même façon, je ne supporte pas qu'on vienne expliquer qu'on peut tenir des propos problématiques et que si on reçoit une réaction qui nous bouscule le résultat peut être la non remise en question et la perpétuation consciente de l'oppression. C'est un problème de dominants, c'est aux dominants de régler le problème. Je pense à l'exemple des propos grossophobes suite auxquels la personne s'est remis en question grâce à une réaction modérée des gens autour d'elle. Une personne grosse qui l'aurait traitée de grossophobe aurait peut-être braqué à jamais la malheureuse privilégiée... vous vous rendez compte de ce que vous dites ? Vous vous rendez compte qu'autoriser ça c'est donner raison aux gens qui trouvent que les féministes sont agressives et impatientes et qu'elles feraient mieux de demander poliment des droits et d'attendre que ça vienne ? Que par la même occasion vous soutenez que finalement si un oppressé réagit mal (ou s'ils réagissent mal en nombre), ça ne pose pas de problème de rester dans son petit confort de pensée privilégiée ? T'as vu la grosse comment elle l'a mal pris ? Et si j'en rajoutais du coup ? C'est ça l'idée ? La carotte et le bâton ? Si tu t'y prends mal je me braque mais si tu essaies de trouver les bons mots ou si tu n'y vas pas trop fort il se pourrait que je te comprenne !

Autre chose, je pense au contraire que dans le milieu militant, il est sain de considérer d'autres militants avec moins d'indulgence que pour d'autres personnes. Pourquoi ? Parce que les militants savent (sont sensés savoir, on le répète assez souvent) comment répondre au call-out, parce qu'ils savent présenter de réelles excuses quand ça s'impose et qu'ils sont à l'écoute de celles et ceux qui subissent les oppressions. C'est la base. Est-il utile de préciser que dans le cas de l'Elfe, les premières excuses étaient du flan, suivies d'une deuxième vague de propos problématiques sur le même sujet (quand ça veut pas...) et enfin d'un billet tout aussi convaincant dans lequel elle accuse les gens de prendre du plaisir à « harceler » et de vouloir gagner de la popularité sur twitter ? Remise en question zéro pointé. L'attitude est une chose et peut-être que c'est une chose plus difficile à prendre en compte lorsque l'affect entre en jeu. Personne n'a d'immunité par rapport à ça, c'est une autre raison pour être encore moins indulgents envers un militant : considérer des propos pour ce qu'ils sont et pas parce qu'ils appartiennent à quelqu'un qu'on apprécie. Si on prétend vouloir créer un espace safe, un espace où la parole n'est pas monopolisée par les mêmes mais où celle des personnes concernées est au centre de nos réflexions, alors il faut que ces concernés n'aient jamais peur de nous dire quand nous sommes à côté de la plaque, de quelque façon que ce soit. En voulant établir un guide, en voulant codifier la prise de parole, tout ce que nous ferions c'est de rendre certains silencieux alors qu'ils ressentent le besoin de hurler, de s'exprimer là où d'ordinaire on leur fait déjà signe qu'on ne veut pas les entendre. Je ne veux pas de ce militantisme, ni maintenant ni jamais. J'aurais honte de réclamer un traitement de faveur sous prétexte que « d'habitude je suis safe » ou que « d'habitude je sais me remettre en question », j'aurais honte que d'autres militants viennent dire « non mais je la connais, en vrai elle n'est pas comme ça » ou « il faut prendre en compte le contexte, elle a eu une dure journée ». Se dire qu'il faut impérativement changer les choses parce que le call-out ça pourrait nous arriver, parce qu'on a peur d'être pointé du doigt si on dérape c'est déjà montrer qu'on est prêt à laisser tomber ses convictions pourvu que ça nous permette d'échapper à nos propres problématiques au lieu de les regarder en face. Nous sommes de bien piètres militants si dans le cas d'un call-out nous focalisons sur notre ressenti au lieu du ressenti des personnes que nous avons blessées. Si je dis des choses problématiques qui vont dans le sens d'une oppression, ne me ménagez pas, ne cherchez pas la meilleure façon de me le dire pour finir par ne rien me dire par peur de me blesser ! Bousculez-moi, secouez l'arbre et ses racines, le système qui me permet de tenir ces propos passe aussi par moi, je n'y suis pas étrangère !

Je ne vais pas parler de toutes ces conneries basées sur colère = virilisme, c'est la goutte d'eau qui a fait que j'ai désactivé mon compte twitter (première fois en 4 ans !). Les bras m'en tombent encore, j'ai lu tout et n'importe quoi ces derniers temps, j'ai juste envie que ça s'arrête.

Je terminerai avec un coup de gueule contre ces personnes qui ont commenté cette affaire en n'ayant rien suivi au moment où ça s'est produit. Pratique quand les articles qui (ne) défendent (pas du tout) l'Elfe se mettent à pleuvoir ! Bien joué, la palme de la déception vous revient de droit. Dans le cas où vous voudriez vous renseigner (sait-on jamais) sur ce dont on a le moins parlé : les propos eux-mêmes et pourquoi ils posent problème, je vous recommande cette vidéo de The Shy Queen (@QueenShyThe).