dimanche 21 septembre 2014

[Critique] How to be a Woman de Caitlin Moran, un exemple type de féminisme™

Dans l'idée, Caitlin Moran et moi on avait tout pour s'entendre. Non c'est vrai, ma première réaction quand j'ai aperçu la couverture dans les rayons de W. H Smith catégorie “best-sellers” j'ai immédiatement pensé qu'elle sortait tout droit de l'univers d'Harry Potter, un savant mélange entre Nymphadora Tonks et Bellatrix Lestrange. On allait être amies, c'était certain ! Blague à part, je comptais aussi beaucoup (et surtout) sur le fait que ce livre m'avait été conseillé par ma prof de littérature britannique de fac, je m'étais déjà plongée sur ses recommandations dans l’œuvre d'Hilary Mantel consacrée à Thomas Cromwell (Wolf Hall et Bring Up The Bodies) et j'avais adoré ! Alors un livre qui parle de féminisme tu penses, j'achète les yeux fermés !

Le titre du livre aurait peut-être pu me mettre sur la voie : « How to be a woman » c'est quand même un brin prétentieux, à moins que la conclusion du bouquin ne soit « en fait du moment que tu te sens et te définis comme femme, tu en es une, personne n'a à te dire le contraire sous prétexte que tu ne rentres pas dans les cases »... sauf que c'est très loin de la conclusion de Caitlin Moran.

Prologue, j'hésite encore...

Je commence donc ma lecture avec Caitlin Moran à 13 ans qui se fait insulter et à qui on jette des pierres dans la rue parce qu'elle n'est pas assez féminine. Je me dis qu'en vivant ça on devrait comprendre mieux que quiconque à quel point l'idée de coller à tout prix à une certaine image de la femme est une idée qu'on nous impose, une idée stupide destinée à maintenir en place le système et les cases du patriarcat. Le message est pourtant limpide : si tu ne plais pas aux hommes ils te le feront savoir, ton but dans la vie c'est de plaire aux hommes.

J'ai posé mon livre à la fin du chapitre et j'ai jeté un coup d’œil sur le net. Je me suis rendue compte que l'auteure utilise des mots comme « tranny » (insulte transphobe) quand elle trouve qu'une personne n'est pas assez féminine, elle utilise aussi ce terme pour elle-même de la même façon. Je tombe sur un tumblr qui recense les bourdes de la dame et ce que j'y lis me navre énormément. Donc visiblement il y a du chemin à faire. Je vais vite réaliser que tout le livre et tous les propos en dehors du livre ont ce goût là, de nana qui parle de féminisme mais qui, en réalité, n'est pas très renseignée sur le sujet. Il n'y a aucune humilité, elle écrit à tort et à travers sans se poser de question et avec l'aplomb d'une donneuse de leçons. Par exemple Elle a reconnu dans une interview que lorsqu'elle a écrit le livre elle ne connaissait pas le terme de "cis", elle l'a appris grâce à twitter. C'est bien la seule fois où je l'ai vu reconnaitre quelque chose, d'ordinaire elle envoie promener les gens, comme lors d'un échange sur twitter où elle avait répondu qu'elle s'en foutait de savoir pourquoi il n'y avait pas de protagonistes non-blancs dans la série Girls. Ne pas connaître le terme de "cis" est un privilège, ça signifie simplement que le mot dont on dispose pour se définir par rapport aux personnes trans c'est « normale ». Je pense qu'on a tous entendu ou dit ce mot dans ce sens là et je pense qu'on peut changer ça, encore faut-il le vouloir. Il y a de l'espoir, c'est mon opinion à ce stade de la lecture, même si elle ne part pas avec de bonnes dispositions peut-être est-elle capable d'apprendre ?

Je ne dis pas que se définir comme féministe exige d'avoir lu Simone de Beauvoir, Virginia Woolf ou Angela Davis, non. Vouloir l'égalité, se rendre compte qu'elle n'est pas là de fait suffit largement, il n'y a pas de concours d'entrée et c'est très bien comme ça. Mais quand on veut donner au féminisme une image qui se veut plus cool et détendue, le mieux serait tout de même de ne pas exclure la moitié des femmes au passage. Ce dont Caitlin Moran nous parle ne concerne qu'une partie des femmes, celle qui effectivement pourrait se permettre de rigoler un peu parce qu'elle reste quand même très privilégiée. Caitlin Moran nous parle des femmes blanches cis valides et hétéros. Ce livre aurait dû s'appeler « How to be a white cisgender heterosexual woman » et se contenter de ne parler que de ça. Pour ce qui est de la question de classe, élevée dans une famille vivant des aides sociales, Moran entre par la suite dans la classe moyenne qui lui permet d'étaler un certain nombre de clichés féminins comme la possession de chaussures à talon qu'elle ne porte jamais...

Morceaux choisis

Je vais donc m'appliquer à dresser une liste non-exhaustive des passages du livre qui m'ont fait tiquer. Je pense que les exemples sont assez parlant pour donner une vue d'ensemble de tout ce qui est problématique chez les féministes dites féministes™. Qu'est-ce qu'une féministe­™ pourriez-vous me demander ? C'est une féministe dont le discours est régulièrement relayé par les médias (ici l'auteure est elle-même journaliste). Ce discours va dans le sens du poil de ce qu'on veut bien entendre du féminisme : il s'agit généralement de positions prises contre le voile et la prostitution par exemple ou de protéger les femmes bafouées en Etrangie parce que nous franchement ça va on n'est pas sexistes. C'est un féminisme principalement composé de femmes blanches cis hétéros valides... bon je me répète mais vous comprenez donc le lien avec l'ouvrage dont il est question ici. Si vous avez le malheur de les reprendre sur certaines choses, elles vous diront par exemple que pour faire comprendre le féminisme au monde entier on peut bien prendre des raccourcis, autrement dit se passer d'un certain nombre de gens. Elles se défendront d'être lesbiennes, moches, grosses ou poilues et d'être associées à ces hystériques extrémistes que tout le monde pointe du doigt. Elles vous conseillerons également de brosser les hommes dans le sens du poil en insistant sur le fait que le féminisme n'est pas contre les hommes, qu'il s'agit d'égalité dans les deux sens. Elles ne prennent pas toujours en compte les rapports de domination et vont également considérer qu'il faut donner une bonne image de la femme, une bonne image du féminisme comme les hommes donnent une bonne image de l'homme... ah non pardon c'est juste pour nous. C'est la révolution mais pas trop en somme. Ajouter des injonctions contradictoires aux injonctions contradictoires du patriarcat est un hobby du féminisme™ ! On commence avec les poils, voyons ce que l'autrice va nous dire à ce sujet...


Les poils

La première chose que j'ai noté, dans le chapitre concernant les poils... c'est que Caitlin Moran fait une différence entre les poils pubiens et les autres poils des femmes. En ce qui concerne les autres :

«what happens to them and why is wholly different»
ce qu'on en fait et pourquoi on le fait est complètement différent

Selon elle, la mode de l'épilation intégrale du pubis (profitons-en pour rappeler que pubis =/= femme) vient de l'industrie pornographique et que si elle a une utilité c'est celle de la visibilité ! On voit mieux le pubis à l'écran s'il est épilé, autrement dit si ce n'est pas pour du porno, l'épilation de votre pubis n'a aucun intérêt. Il n'est pas question de choix ici, on vous dit que ça n'est pas la peine, point. Mais pour les poils des bras et des jambes ce ne serait pas la même chose, au nom de quoi je ne saisis pas vraiment : parce qu'un pénis ne rentre pas dans une aisselle et du coup le porno ne peut pas exiger qu'on le rase ce qui rend socialement acceptable le fait de se raser à cet endroit ? Oui, j'avoue moi aussi je trouve ce raisonnement absurde. C'est ignorer qu'il existe un traitement différent entre le poil chez les hommes et les femmes et qu'on apprend à la femme que le poil c'est intolérable là où chez l'homme c'est viril. Non, ce n'est pas dans ce livre que vous trouverez une réflexion de ce type : continuez de vous épiler partout ailleurs mais pas le pubis parce que ça ne sert à rien, ajoutez une injonction contradictoire aux injonctions que vous subissez déjà, on n'en a jamais assez ! Moran nous prévient qu'il y a des femmes à qui la moustache va bien et d'autres non, débrouillez-vous avec ça pour savoir si vous pouvez être validée ou non par la journaliste, elle a l'air de savoir ça mieux que vous-même.

La culture du viol

Un petit point « culture du viol » lorsque Moran parle du mot qu'elle utilisera et qu'il faut donc choisir pour parler du vagin. Pas pour désigner le sien mais de celui de sa fille. Pourquoi évoquer ceci me direz-vous, je vous laisse découvrir la réponse à cette question :

«We could call it Herbie. And when she reaches adolescence, and goes boy-crazy, we can say « Herbie Goes Bananas » to each other over and over again, as you build the doorless turret we can lock her in.»
On pourrait l'appeler « Herbie » -cf le film La Coccinelle-. Et quand elle sera adolescente et qu'elle s'intéressera aux garçons, on pourra se dire entre nous «Herbie devient folle» -à nouveau référence au film La Coccinelle à Mexico en version originale- et le répéter tout en construisant la tour sans porte dans laquelle nous l'enfermerons.

Notons l'hétéronomativité de la chose, toute féministe qu'elle est, Moran imagine déjà que sa fille deviendra forcément « boy-crazy » !

Un vagin sinon rien

Pour Moran le vagin doit avoir un nom car son importance dans la vie d'une femme est capitale...

«the epicentre of most of your decisions and thought processes for the next 40 years»
l'épicentre de la plupart de vos décisions et de votre façon de penser pour les 40 prochaines années

Un petit coucou aux asexuels, demi-sexuels et autres personnes non concernées (qui pensent avec autre chose que leur chatte quoi) qui nous lisent ?

Dans un autre registre, probablement le passage le plus évidemment cissexiste du livre. Mesdames si vous n'avez pas de vagin je suis désolée mais vous n'êtes pas féministe ! 

«a) Do you have a vagina ?
b) Do you want to be in charge of it ?
If you said 'yes' to both, then congratulations ! You're a feminist.»
(a) Avez-vous un vagin ?
b) Souhaitez-vous en avoir la responsabilité ?
Si vous avez répondu 'oui' à ces deux questions alors félicitations! Vous êtes une féministe !

 On pourrait chipoter et prétendre que ce que Moran veut dire c'est que les personnes qui ont un vagin ont tout intérêt à se déclarer féministe. Certes, mais l'amalgame "vagin" = nécessairement "femme" est un peu trop récurrent dans le féminisme mainstream pour que cette hypothèse soit crédible. Le féminisme comme évidence d'accord, mais pourquoi ces deux questions là qui parlent d'une partie d'un corps et non des individus comme ils s'identifient ? Et pourquoi se focaliser sur les personnes ayant un vagin si le combat féministe est avant tout un combat de femmes ? Pourquoi ne pas se focaliser plutôt sur les femmes ? Défendre le droit des personnes à disposer de leur corps est d'une importance fondamentale, il concerne le féminisme mais pas seulement ! D'autre part si on répond "non" à la première question, j'imagine qu'à la lecture de la conclusion on doit ressenti un certain malaise en tant que femme, malaise récurrent de l'exclusion de la lutte. Pour éviter ce genre d'écueils à l'avenir merci de dissocier corps et genre de façon claire et d'inclure toutes les femmes dans le féminisme.

Islamophobie, sexisme et contradictions

Si vous débutez en féminisme, il se peut que vous ne perceviez pas le racisme et le sexisme qui s'allient dans l'islamophobie. Je ne peux que vous recommander de vous rendre sur le site de Radiorageuses et d'écouter les émissions consacrées à ce thème et au racisme d'Etat. L'équipe de DégenréEs a fait un travail remarquable là dessus, ça vaut la peine d'y jeter une oreille à l'occasion. Dans How to be a Woman, on nous fait comprendre que si les hommes ne portent pas le voile alors les femmes ne devraient pas avoir à le faire...

«It was the 'are the boys doing it ?' basis on which I finally decided I was against women wearing burkas.»
C'est la question 'est-ce que les garçons le font ?' qui me permit de décider que finalement j'étais contre les femmes qui portent la burqa.

Rappelons que majoritairement, les hommes ne portent pas de maquillage ou de jupe/robe/décolleté/soutien-gorge/talons... tu vois le problème de ton raisonnement ou toujours pas ? Moran précise que si les femmes portent le voile quand elles sont seules chez elles alors c'est acceptable. Je ne porte pas de maquillage quand je suis seule chez moi, cela signifie-t-il que je dois arrêter de me maquiller quand je sors ? Pour finir on notera la formulation être "contre les femmes" quand on est soi-disant féministe, c'est quand même pas de bol ! Attention, à suivre un petit passage croustillant de condescendance :

«My politeness accepts your choice» (si tu portes le voile quand tu es toute seule)
Ma politesse accepte ton choix.

Ce qui me fait penser que Moran n'a pas tout à fait poussé la porte du féminisme et qu'elle doit essayer de regarder par le trou de la serrure avec difficulté c'est qu'elle conclut le chapitre en disant exactement l'inverse de ce qu'elle vient de professer et Paf ! Ça fait des chocapics :

«Because the purpose of feminism isn't to make a particular type of woman. The idea that there are inherently wrong and inherently right 'types' of women is what's screwed feminism for so long»
Parce que le but du féminisme n'est pas de créer un type particulier de femme. L'idée qu'il existe des 'types' de femme intrinsèquement bons ou mauvais est ce qui a foutu en l'air le féminisme pendant si longtemps

Grossophobie

Ai-je vraiment besoin de commenter ça ? Je m'octroie une dispense.

«My fat days were when I was not human shaped.» «I wasn't a woman.»
Ma période grosse a eu lieu lorsque je n'avais pas forme humaine. Je n'étais pas une femme.

«He also gets me on ten Silk Cut a day which leaves me no money for lunch – useful.»
Je fume aussi dix cigarettes par jour à cause de lui ce qui ne me laisse aucune monnaie pour le déjeuner – pratique.

«These people aren't 'fat' – they are simply... lavish.»
Ces personnes ne sont pas « grosses », elles sont simplement... généreuses.

Ah si, ça je veux bien le commenter, les personnes grosses sont celles qui ne s'acceptent pas, si tu t'acceptes tu deviens automatiquement "généreuse", parce que "grosse" c'est pas joli comme mot. Oui, elle va chercher loin ses idées pour refouler sa grossophobie mais ça se voit encore un peu quand même.

Surprise : le sexisme outrancier n'a pas disparu... ?

«I asked on Twitter if anyone had experienced any outrageous sexism recently, and whilst I was expecting quite a few amusingly stereotyped clangers, I wasn't expecting the deluge that started 30 seconds after I inquired, and which carried on for nearly four days afterwards.»
J'ai demandé sur Twitter si quelqu'un avait subi un sexisme outrancier récemment, et si je m'attendais à quelques gaffes stéréotypées amusantes, je n'avais pas imaginé le déluge qui commença 30 secondes après ma question, et qui continua pendant environ quatre jours.

Malgré ce rappel à la réalité, la journaliste nous parle avec nostalgie des mecs qui crient « titties » (tétons) quand elle arrive quelque part... de sexisme qui ne se cache pas sous l'ironie, oubliant que ces deux formes de sexisme sont encore très répandues ! Il y a un sérieux problème pour connecter ces informations apparemment :

«old-fashioned sexism […] I miss it.»
le sexisme vieux jeu […] ça me manque.

Au pays des bisounours

Tout le monde il est beau, gentil et bien intentionné. On ne doit pas vivre sur la même planète.

«The idea that we're all, at the end of the day, just a bunch of well-meaning schlumps, trying to get along, is the basic alpha and omega of my world view.»
L'idée que nous sommes tous, au bout du compte, une bande de maladroits bienveillants, essayant de s'entendre, est l'alpha et l'omega de ma vision du monde.

De l'importance de connaître l'Histoire et de lire Virginia Woolf

«We have no Mozart ; no Einstein ; no Galileo […] It just didn't happen.»
Nous n'avons pas de Mozart, pas d'Einstein, pas de Galilée […] ça n'a simplement pas eu lieu.

Dans "A Room of One's Own" (Une chambre à soi en français) Virginia Woolf explique pourquoi les femmes sont absentes d'une partie importante de l'Histoire : la première raison c'est qu'elles n'ont pas la possibilité de participer, elle prend pour cela l'exemple d'une soeur de Shakespeare qui aurait été aussi talentueuse que lui mais qui n'aurait jamais pu écrire la moindre ligne car étant une femme. L'autre raison, celle qui aujourd'hui fait qu'on s'interroge sur les manuels scolaires par exemple, c'est que même lorsqu'il y a production d'oeuvre ou d'invention, l'Histoire décide que ça n'est pas aussi important que ce qu'ont fait les hommes et les passe sous silence ou les mentionne en tant que "compagnes" ou "soeurs" de. Encore une fois je considère qu'être féministe ce n'est pas avoir lu les féministes mais quand on écrit à propos de l'Histoire, qu'on se prétend féministe et qu'on déclare que les femmes n'ont rien fait, peut-être qu'au lieu d'écrire on ferait bien de commencer à lire.

Laissons-nous guider par les hommes, ils savent !

«My husband teaches me more about the bullshit men project on women than any woman ever does.»
Mon mari m'en apprend plus au sujet de ces conneries que les mecs projettent sur les femmes qu'aucune femme ne le fait jamais.

Et l'avis des hommes est primordial, leur confort visuel est important :

«most men distrust, and even dislike a heel.»
la plupart des hommes n'a pas confiance, voire n'aime pas les talons.

«A chick in heels makes a man feel shorter. In man terms, this is like making a lady feel fatter. They don't like it.»
Une nana en talons fait que l'homme se sent plus petit. En termes masculins, c'est comme faire qu'une femme se sente plus grosse. Ils n'aiment pas ça. (raison numéro 1 pour laquelle les talons c'est pas bien, non sans déconner c'est vraiment numéro 1 dans le classement je n'ironise pas !)

Homophobie ordinaire

«the natural ally of the straight woman is the gay man.»
L'allié naturel de la femme hétéro est l'homme gay.

Je ne m'attarde pas ici, je pensais que ce préjugé était l'apanage des années 2000 mais visiblement il a la vie dure. Les hommes gays sont donc dispensés à vie de sexisme et nécessairement alliés du féminisme. Moran m'épate dans son ignorance des sujets qu'elle aborde. J'imagine qu'elle pense aussi que les femmes ne peuvent pas être sexistes ? Et pourquoi diable en revenir sans cesse à la sacro-sainte nature ! Qu'est-ce qu'il y a de naturel dans ce préjugé ? Je pense qu'on peut difficilement trouver phénomène plus socialement construit que celui là quand dans les magazines de mode et autres séries américaines il est toujours de bon ton d'avoir un meilleur ami gay !

Sexisme à l'encontre des strip-teaseuses

Curieusement, l'écrivaine n'aborde nulle part le sujet de la prostitution mais on peut deviner sa position assez facilement en lisant le chapitre dédié aux clubs de strip-teases et de lap-dance : cachez ce milieu que je ne saurais voir.

«But what are strip clubs, and lap-dancing clubs if not 'light entertainment' versions of the entire history of misogyny ?»
Mais que sont les clubs de strip-tease et de lap-dance si ce ne sont des versions de 'divertissement' de l'histoire entière de la misogynie ?
C'est vrai que le reste du monde est tellement dénué de misogynie (sic), tout se concentre dans ces endroits là apparemment. C'est parti pour la croisade !

«Are we really saying that strip clubs are just wonderful charities that allow women – well, the pretty, thin ones anyway : presumably the fatter, plainer ones have to do whatever it is all the males students are also doing – to get degrees ? I can't believe women supposedly in further education are that stupid.»
Est-on vraiment en train de dire que les clubs de strip-tease sont des organismes de bienfaisance qui permettent aux femmes, enfin les jolies et minces en tout cas, on présume que les plus grosses ou moches doivent faire ce que font les étudiants hommes font également, pour obtenir un diplôme ? Je ne peux pas croire que les femmes qui font soi-disant des études supérieures soient aussi stupides.

On aurait pu avoir un point de vue intéressant sur la normalisation des corps, sur l'érotisation systématique du corps des femmes pour le désir masculin, on y était presque, au lieu de ça on dit que les hommes et les femmes (moches) sont plus intègres et respectables et on crache sur celles qui essaient de survivre et de réussir leur études comme elles le peuvent, bien vu le féminisme.

«Girls, get the fuck off the podium – you're letting us all down.»
Les filles, descendez du podium, vous nous laissez toutes tomber.

«Because inside them, no one's having fun
Parce qu'à l'intérieur personne ne s'amuse.

«The women hate the men.»
Ces femmes détestent les hommes. (parce que les strip-teaseuses font leur numéro plusieurs fois)

«Let's take our women off the poles.»
Faisons descendre nos femmes des barres de pole-dance

Voilà, c'était le point paternaliste et "je parle à la place des strip-teaseuses donc je sais". Page suivante : mais en fait le strip-tease ou le pole-dance ce n'est pas mauvais en soi, c'est bien si on le fait pour s'amuser (page précédente : il faut fermer les clubs de strip-tease... cohérence)
Suite : apologie du burlesque.

«it doesn't have the oddly aggressive, humourless air of the strip club»
Ça n'a pas ce côté singulièrement agressif et dénué d'humour qu'a le club de strip-tease (donc si le confort de madame y trouve son compte ça va)

«Because, most importantly, burlesque clubs feel like a place for girls.»
Car, plus important, les clubs burlesques ressemblent à un endroit pour les filles.

Autre point intéressant : une femme qui se sert du patriarcat pour réussir est une collabo nazie, rien que ça :
«Women who, in a sexist world, pander to sexism to make their fortune are Vichy France with tits.»
Les femmes qui, dans un monde sexiste, se servent du sexisme pour arriver à leurs fins sont la France de Vichy avec des seins. 
Si tu fais face à une difficulté due au sexisme et que tu es une personne forte tu ne te plains pas, c'est comme ça que Moran voit les choses. Les personnes fortes ne peuvent apparemment pas être des victimes du sexisme. Les femmes de footballeurs non plus n'ont pas le droit de se plaindre d'être trompées car elles sont là seulement pour leur physique et qu'elles le savent, elles n'avaient qu'à miser sur autre chose.

J'aimerais m'attarder là dessus parce qu'on peut effectivement penser que les femmes qui se servent du sexisme pour arriver à leurs fins jouent contre nous alors pourquoi ça n'est pas le cas ? D'abord parce qu'il me semble qu'on ne peut pas pointer du doigt les femmes quand tout un système les place comme perdantes d'avance. Je prendrais l'exemple d'une femme un tant soit peu ambitieuse dans une entreprise, qui réalise qu'il n'y a que des hommes cadres autour d'elle et pour qui l'opportunité se présente de coucher avec son patron pour monter en grade. Quels sont les choix qui s'offrent à elle ? Si elle refuse elle garde sa réputation intacte mais elle reste également à sa place, si elle accepte elle sera jugée non seulement par les hommes mais également par les femmes parce que coucher pour obtenir une promotion c'est mal, seulement elle aura le poste qu'elle convoite. Dans tous les cas la femme est perdante soit sur le plan de sa carrière soit sur le plan de la morale contradictoire qu'impose le patriarcat. Quand on pointe ces femmes du doigt, on ne pointe pas le système qui rend ces situations possibles et on se trompe donc de coupable. Non seulement ça mais en plus, au nom du "féminisme" on laisse encore d'autres femmes sur le bas côté au lieu de les prendre en compte comme victimes du patriarcat.

La superficialité inhérente aux femmes et condamnable

Sur le mariage, pas de réflexion sur l'éducation des petites filles, l'influence culturelle ou la pression sociale, nada :

«weddings are our fault, ladies»
 les mariages sont notre faute les filles

Même chose au sujet des escarpins qu'on doit porter quand on est une femme, la conclusion de Moran c'est qu'il existe très peu de femmes qui peuvent marcher avec, pourtant il ne s'agit pas vraiment de questionner une injonction ici non plus, ça semble naturel et on en profite pour rajouter une couche de cissexisme indispensable :
«They are a non-negotiable part of being a woman, along with the potential to lactate, and the XX chromosome.»
Ce sont des choses non négociables quand on est une femme, comme la capacité à produire du lait et le chromosome XX.

Germaine Greer

Je serai brève à ce sujet, Germaine Greer apparait comme l'idole absolue de Caitlin Moran. A nouveau au lieu de combattre ses contradictions elle dit en début de livre que c'est une personnalité problématique et transphobe (vous imaginez si même pour Moran c'est évident... brrr !), ce qui ne l'empêche pas de faire référence à elle en tant que déesse absolue tout le long du livre ! Peut-être faut-il chercher la cohérence dans le fait que Moran elle-même est problématique mais que ça ne la dérange pas outre mesure ?

Les pop stars blanches, ces modèles d'égalité

Les femmes arrivent enfin à une véritable égalité selon Moran... la preuve ? Madonna sort avec des hommes plus jeunes et on a Lindsay Lohan et Britney Spears qui sont devenues célèbres très jeunes et font n'importe quoi de leurs vies.

« You don't penetrate Gaga » 
On ne pénètre pas Gaga, la pénétration, ce truc avilissant que tu ne peux pas faire avec une femme bien. Gaga va sauver le monde et la prochaine génération d'adolescentes sera immunisée face aux oppressions grâce à elle :

« it's going to be very difficult to oppress a generation of teenage girls who've grown up with a liberal literate bisexual popstar who shoots fireworks out of her bra and was listed as Forbe's magazine's seventh most Powerful Celebrity in the World.» Il sera très difficile d'oppresser une génération d'adolescentes qui ont grandi avec une pop-star bisexuelle libérale et lettrée qui tire des feux d'artifices avec son soutien-gorge et a été nommée septième célébrité la plus puissante du monde par le magazine Forbe.

LOL ! Un petit détail sûrement insignifiant mais pas de modèles non-blanches pour nos ados, étrangement ça n'existe pas dans le monde merveilleux de Moran...

Ce livre m'a tellement énervée que j'ai écrit mes réactions à chaud sur le livre lui-même, c'est ce qui fait que j'ai repoussé cette critique encore et encore parce que je n'avais pas vraiment envie de me replonger dans ces notes. Et puis c'est long, j'ai préféré ne mettre que l'essentiel de ces propos nauséabonds, il en reste encore un paquet ! La seule chose sur laquelle je n'ai rien à dire sont les chapitres concernant la maternité, le désir d'enfant (ou l'absence de désir d'enfant) et l'avortement, là rien ne m'a paru choquant ou déplacé, rien de fondamentalement anti-féministe. Il est très facile de passer à côté de tous les problèmes que pose ce livre dans le sens où il nous aborde comme une copine à qui on fait des blagues et avec qui on a envie de se marrer : "allez viens je vais te dire des horreurs mais comme c'est de l'humour ça va passer crème !", c'est un piège qu'on n'évite pas forcément quand on est encore bébé féministe et ça le rend d'autant plus dangereux. C'est justement pour ça que ça marche autant : parce que l'idée du féminisme que la plupart des gens sont prêts à accepter c'est celle d'un combat quasi terminé dont on peut rigoler et qui ne secoue pas les bases sur lesquelles la société est construite. Allez, fais pas ta féministe coincée, après tout on a le droit de vote, viens pas nous parler de culture du viol ou d'agressions tu vas gâcher l'ambiance ! Ce féminisme qui se veut rassurant et joyeux est à mon avis autant à combattre que le patriarcat lui-même, efforçons-nous de mettre à jour ce qu'il veut passer sous silence parce que ça n'est pas assez branché pour lui.

1 commentaire:

  1. Pétard, le pavé, ça n'en finit pas. Apparemment cette lecture a été éprouvante, faudra que je me penche dessus si je le trouve en occaz à Gibert ! ^^

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