lundi 14 avril 2014

[Hors-série pas ronchon] Tori Amos, une chanteuse féministe qu'elle est bien.

Voilà enfin mon article sur Tori Amos ! Il se trouve que je vais pouvoir assister à un concert de la chanteuse le mois prochain, j'attends ça depuis trèèèès longtemps alors je suis évidemment impatiente et je me demande dans quel état je serai lors du meet & greet !
Cet article est dédié à ma chère LN ♥ ainsi qu'à tous les curieux que j'espère convaincre de découvrir cet univers musical vraiment à part.



Vous la connaissez peut-être déjà...

Connaissez-vous cette chanteuse Américaine à la chevelure rousse (ou rouge, c'est selon) ? Mais si, bien sûr que vous la connaissez ! En tout cas vous connaissez au moins cette chanson là (son refrain plus précisément) :


Non, toujours pas ? Je connais Crucify depuis toute petite mais dans tous les cas, ma passion pour cette grande dame s'est révélée grâce à une reprise pour laquelle elle est aussi connue, celle de Smells Like Teen Spirit de Nirvana :


Pourquoi j'adore Tori Amos.

La reprise de Nirvana c'est un début, mais on est encore bien loin d’effleurer la complexité de l'univers de Tori Amos. Les faits sont là : je ne connais à ce jour aucun auteur, compositeur interprète qui soit à la fois engagé et littéraire mais également influencé par les arts visuels/plastiques, toutes les formes de religions existantes et qui parle d'identités et d'histoire comme elle le fait. Je suis athée et pourtant la spiritualité multi-facettes d'Amos me touche énormément. Je ne suis pas particulièrement patriote et pourtant son encrage dans les racines des Etats-Unis me fascine (ses origines cherokee entre autres). Sa folie aussi est touchante, cette capacité à entrer en transe, à crier sa rage, même si elle s'est beaucoup assagie ces dernières années, l'émotion en concert qui semble être une véritable communion entre la chanteuse et ceux qu'elle appelle les « ears with feet », ses fans.
Les thèmes abordés, la voix, la polyvalence (cf la comédie musicale The Light Princess par exemple !) le piano pour instrument principal alors qu'on lui avait dit "That girl with the piano thing it's not going to work", l'engagement et un génie musical assez frappant (elle joue parfois sur trois claviers différents sur un même titre sans aucun problème ou croise les mains histoire de...) voilà un résumé de tout ce qui me plait chez Amos.

Going for a little hunt, partir à la chasse aux interprétations.

 (c'est du Tori Amos, tu pourrais pas comprendre)

La façon dont Amos construit son univers est si particulier qu'elle a publié un livre où il n'est question que de ça ou presque (Piece by Piece). Il y a toujours au moins deux voix à entendre chez elle et même ce livre a été co-écrit avec la journaliste Ann Powers. Il y a le temps de la naissance d'une chanson, le temps où Amos y met ce qu'elle ressent et puis la chanteuse parle d'une deuxième vie, d'un moment où ses chansons vivent autre chose avec des gens qu'elle ne connaît pas, nous, ses auditeurs.
Les chansons parlent de sujets sensibles : masturbation féminine, viol, inceste, perte d'êtres chers, excision... nombreux sont les fans qui ont trouvé de l'aide dans cette musique et dans ces mots.

Les chansons d'Amos sont pour moi avant tout de la poésie. Elle nous invite à chercher des indices et à tirer nos propres conclusions face aux images parfois très vagues qu'elle nous donne à travers ses chansons. On n'est pas souvent certain de savoir de qui ou de quoi il est question, il y a des chansons plus explicites que d'autres et en tant que littéraire je prends plaisir à me demander à chaque nouvelle écoute « et si elle parlait de ça en fait ? » et à chercher d'autres clefs pour appuyer ma théorie. C'est d'ailleurs pour cette raison que mon mémoire de Master 1 a été une vaine tentative de décrypter son œuvre. Je me suis un peu éparpillée tellement il y a de choses à dire sur cette artiste qu'au final c'était plus un patchwork d'idées qu'un travail de recherche scientifique. Mon objectivité est également en cause dans cette affaire, Tori Amos ne se contentant pas de mobiliser mon cerveau...
 
Le féminisme de Tori Amos

Mon propre féminisme s'est forgé à l'écoute de l’œuvre de Tori Amos et surtout à l'écoute des différentes interviews qu'elle a pu donner à ce sujet. Je pourrais passer des heures à l'écouter parler sans jamais me lasser. L'une des principales figures utilisées par la chanteuse comme étendard est celle de Marie-Madeleine. C'est en effet le symbole de ce qu'Amos n'a de cesse de dénoncer : la femme est soit vierge soit putain, il ne peut y avoir de réconciliation entre ces deux Marie là. De là découle tout un discours religieux contre la masturbation (dont il est question dans la chanson Icicle dans laquelle elle dit qu'il doit manquer des pages dans la Bible à ce sujet) et l'impossibilité d'être à la fois sensuelle et amoureuse. Voici un extrait que je trouve très parlant (c'est en anglais mais je pense que c'est assez accessible).


Tori dit être née féministe. Je ne pense pas pour autant qu'elle contredise les propos de Simone de Beauvoir ("on ne naît pas femme, on le devient") mais je pense qu'elle fait référence au fait que dans le contexte dans lequel elle est née, elle n'avait pas d'autre choix que de le devenir et de se rendre compte très tôt des problèmes auxquels il faut faire face en tant que femme. Son père étant un révérend de l'église méthodiste, Tori a perçu les failles de l'enseignement religieux et son émancipation est aussi passée par la musique car dès que papa avait le dos tourné, on écoutait ce qui était d'ordinaire interdit à la maison, à commencer par Robert Plant et les Beatles !

Idées en vrac que je trouve absolument géniales.

Dans l'album Scarlet's Walk, on fait le tour des Etats-Unis après le 11 septembre. Dans le livret il y a une carte des Etats-Unis et chaque chanson représente un bout du chemin parcouru.

Dans l'album best of Tales of a Librarian, les chansons sont classées comme en bibliothèque, suivant la classification décimale de Dewey.

Les clins d’œil récurrents dans les œuvres de l'un comme de l'autre entre Tori Amos et l'écrivain britannique Neil Gaiman. La collaboration même, voir l'album Strange Little Girls où Amos utilise différents personnages pour reprendre des chansons dont les interprètes d'origine sont masculins.

L'utilisation de la persona : comme les poètes, Amos se dédouble. Pour l'album American Doll Posse, elle invente Pip, Santa, Isabel et Clyde qui ont chacune leur personnalité et leur apparence propre. Tous ses personnages tiennent un blog chacun et lors de la tournée, Tori apparait sous les traits d'une persona en particulier selon l'humeur du moment.

 (un fan-art représentant les différentes dolls et Tori pour qui la position de "storyteller" est toujours importante)

Quelques chansons pour terminer...

Winter est une chanson qui parle de l'enfance et de la relation avec son père, je trouve que c'est sa plus belle ballade.


Bliss, une chanson que j'aime beaucoup également mais ici il est plutôt question de vous montrer l'euphorie des concerts, ça donne envie, non ?

Tori a souvent été surnommée la "Cornflake Girl" à cause du titre de cette chanson. En réalité, les gens qui utilisent ce nom l'ont-ils vraiment écoutée ? "Never was a Cornflake Girl..." la chanteuse nous explique qu'elle traîne plutôt avec les "Raisins Girls" qui sont plus difficiles à trouver, les paroles faisant référence à "Possessing the Secret of Joy" d'Alice Walker et évoquant l'excision.

Me and a Gun est une chanson que j'ai beaucoup de mal à écouter. Elle est vraiment très belle mais aussi très douloureuse. Écrite après le visionnage du film Thelma et Louise, elle parle du viol qu'elle a subit après un concert et de ces choses qui peuvent alors vous traverser l'esprit pour survivre. C'est aussi un plaidoyer anti culture du viol puisqu'elle précise qu'être habillée sexy ne signifie pas avoir envie de coucher.

Precious Things est probablement ma chanson préférée. Elle est très torturée et m'évoque des souvenirs d'adolescence pénibles et ce sentiment d'être à part quoi qu'on fasse. Je me reconnais particulièrement dans le fait de remercier les gens qui vous font des compliments même s'ils vous disent ensuite que vous n'êtes pas belle même si j'ai du mal à imaginer Tori dans cette situation : "He said you're really an ugly girl but I like the way you play... and I died but I thanked him, can you believe that". Cette chanson contient aussi l'excellente punchline "So you can make me cum that doesn't make you Jesus". Fait intéressant à noter (mais pas ici) : dans la plupart des prestations, la caméra se détourne volontairement de Tori au moment d'un certain "Giiiiiiirrl !" car elle se touche le sexe... bizarre non ?

 Et enfin, Spark, encore une chanson douloureuse (je trouve que ce sont les plus percutantes). Tori Amos a subi plusieurs fausses couches avant d'avoir l'adorable Natashya (dite Tash) et en a évidemment beaucoup souffert, c'est ce dont il est question dans cette chanson. J'aime aussi beaucoup ce clip. "If the divine master plan is perfection, maybe next I'll give Judas a try".

Il y a encore énormément de chansons que j'aimerais vous présenter mais je vais m'arrêter là, si vous arrivez à écouter et regarder tout ça déjà je pense que je m'estimerai pleinement heureuse :)

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